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Analyses
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Crise horlogère 2015, ses causes: les enchères, le retour des tontons flingueurs 5/5

Le 12 septembre 2015
Malik
Malik "Pifpaf" Bahri
L'auteur.

Salut la compagnie,

Pour cette dernière partie sur les causes, je vais faire comme il n’est pas coutume, un chapeau, comme un bon gars bien propre sur lui (profitez-en, ça ne durera pas).
Donc l’objet du sujet suivant, n’est surtout pas de jeter la pierre à tel ou tel intervenant, en particulier les maisons d’enchères et Patek Philippe qui n’ont fait qu’hériter d’une situation, et qui l’ont géré aux mieux de leurs intérêts respectifs.
D’ailleurs, même si dans ce sujet je soulève l’une des plus grosse problématique de l’horlogerie actuelle, il n’y pas de responsabilité évidente des maisons d’horlogerie, tant la situation est intriquée.

Pour les illustrations du sujet, on va reprendre les films de mafieux classiques, lorsque les papis mafieux reprennent du service, pour aller claquer le beignet aux jeunes (Les tontons flingueurs, Gomorra la série, Casino, The Town & Picsou)…

  • En couverture, l’horlogerie ancienne, s’adressant à l’horlogerie contemporaine: « Touches pas au Grisbi, salope!! »

Durant les années 80’, un groupe de collectionneurs italiens emmené par le parrain Patrizzi, va favoriser, voire organiser la spéculation autour d’une marque d’horlogerie traditionnelle, alors que l’horlogerie mécanique peine à renaitre.
Ces spéculateurs de génie, vont porter au pinacle Patek Philippe (qui n’était alors qu’une marque haut de gamme poussiéreuse parmi d’autres: Vacheron, AP, etc…).

Patrizzi exhumant une Patek rare d’un coffre – Les Italiens débarquent aux enchères Genevoises, la classe (images, Gomorra – Don Savastano)

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  • Patek va allégrement windsurfer sur la vague, et profiter au maximum du vent dans le dos, allant jusqu’à racheter régulièrement à fort prix (6.25millions de CHF pour la Patek 1527 en 2010) des rares vintages, « pour le musée », favorisant encore la spéculation délirante autour des pièces vintage.

Intrinsèquement, les prix des Patek, Rolex et Panerai vintage (attention, sur ces dernières, il passe beaucoup de fausses dans les ventes), ont atteint des prix stratosphériques, voire orbitaux, mais finalement, ces tarifs sont un peu cheap si on les compare au débillissime marché de l’art contemporain.

Si l’on peut se féliciter de l’engouement autour de l’ancien, on ne peut que déplorer son ressort de base, qui est toxique : le flouze, le pognon, le fric, le lové, l’oseille, la maille… Jouer sur la cupidité des acheteurs, sur la perspective de gagner de l’argent à la revente, pour leur vendre des montres largement surcotées (le « Horlogical Supersize Me »).

Si cela a été une très très bonne affaire pour Patek durant des années, à terme la logique est mortifère pour l’ensemble de l’horlogerie.

« C’est le seul exemplaire connu MaÂadame » – « Y à un Valjoux 13 dedans? – Y’en a aussi… »

GrisbiTonton Flingueur Yen a aussi

Les cotes autour du vintage sont insensés, par exemple, les chronographes Longines 13ZN sont d’excellents mètres étalons du prix réel des vintages, leurs prix moyens représentent 1/25éme des cotes de Patek équivalentes.
Ceci a engendré un cycle spéculatif autour de l’ancien, qui échappe aujourd’hui à tous contrôles.

  • Il est ainsi beaucoup plus facile de vendre une vintage un peu connu, qu’une très belle montre récente à des niveaux de prix et de fonction équivalente!

On se doit de reconnaitre que les finitions des mouvements et des cadrans du moyen de gamme étaient meilleurs dans les années 30-40-50, mais la qualité générale, et surtout l’ultra haut de gamme a considérablement évolué depuis!
Des maisons comme Greubel Forsey, De Bethune, Voutilainen, Romain Gauthier, et bien sûr Philippe Dufour ont littéralement repoussé les limites de l’horlogerie, en proposant des niveaux et des types de finitions inédits, des complications inconnues… Et même si la technologie horlogère mécanique progresse au rythme d’un Vaudois en SUV urbain blanc diesel sur l’A1 aux heures de pointe, elle progresse quand même!
Ne serait-ce que grâce à la conception informatique et à l’outillage de précision.

Le vintage, des plus petits calibres, mais un charme indéniable (l’excellent The Town à droite):

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Dans l’absolu, les montres très haut de gamme n’ont jamais été aussi belles et bien finies, mais les détaillants peinent à les vendre, alors que les fakes et merguez se multiplient comme des mouches sur une charogne dans toutes les enchères (notamment sur certains sites d’enchères allemands).

Il faut dire, qu’à la notable exception de Patek sur le vintage, les marques n’ont que très peu soutenu les pièces anciennes aux enchères. Pour leur défense (pour Vacheron par exemple), la logique de groupe n’aide pas, c’est toujours difficile de justifier, auprès du board, des achats de plusieurs millions d’une pièce unique qui passe subrepticement sous le marteau. Là ou néanmoins le mystère devient nébuleux, c’est qu’engloutir des millions dans des partenariats oiseux est parfaitement acceptable…

Cette situation inversée révèle un problème de fond : on a remplacé le discours sur le plaisir (qui fait la richesse des constructeurs automobiles), par un discours sur l’investissement…

Dans la vraie vie, on tombera peut-être amoureux d’une fille avec qui on voulait juste coucher, mais on ne tombera jamais amoureux d’une pute…

Et tout le problème est là : les montres c’est une passion, des émotions, le fric est juste le comburant…

Les montres vintages qui flinguent le marché du neuf  « Les papys flingueurs » (images Casino de Scorsese):

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Les cotes sur le vintage dévalorise le neuf, mais ceci soulève un autre problème, encore plus pernicieux : la durée de vie des produits horlogers.

Comme vous le savez probablement, notre riant système post-moderne de capitalisme de la marchandise et de l’argent est basé sur un concept, simple, mais beau : l’obsolescence programmée. Pour ceux qui l’auraient raté, je vous recommande cet excellent reportage d’Arte.

Mais ce phénomène ne touche que marginalement l’horlogerie mécanique. Les Suisses, sont trop consciencieux, ils fabriquent des produits trop solides, des montres qui se transmettent de génération en génération, sans casser et pire en prenant de la valeur aux enchères… Pire, aujourd’hui, notamment Rolex et Omega, entre autres, réalisent les montres les plus solides de leurs histoires. Chez Rolex, l’obsession, c’est la montre inaltérable, incassable et presque sans maintenance. Pourtant ce que les fabricants automobiles savent, c’est qu’on gagne plus d’argent avec le SAV et les services financiers de leasing qu’avec la vente des voitures…

  • On nous bassine, avec le fantasme ultime des directeurs marketing : le collectionneur, ce Dahu horloger. Mais personne ne parle jamais du (très) gros des troupes : le passionné de base, le fanboy, celui qui s’achète une Rolex pour avoir réussi sa vie avant 50ans.

Chez la plupart de mes « watch buddies » il dort, 3- 4-5-6 montres au coffre, pour une valeur situé entre 20000 € et 50000€. Selon les critères du pauvre marketing horloger, ce ne sont pas des collectionneurs, et pourtant ils ont une valeur en horlogerie qui leur permettrait de s’acheter une voiture neuve cash.

Jusqu’ici tout va bien, mais supposons qu’il se produise demain une désaffection générale pour l’horlogerie mécanique, que va-t-il se passer ? Un raz-de-marée massif de pièces vintages en seconde main.

Le ou toutes les pièces dormantes arriveront sur le marché de seconde main: en jaune les montres, en rouge l’horlogerie:

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L’absence d’obsolescence et la forte valeur des montres mécaniques engendrant une accumulation quasi-totale de la forte production annuelle (dans les 6 millions de pièces).
Pour contrebalancer un peu cette hypothèse, on pourrait penser qu’en cas d’effondrement des principales monnaies mondiales suite à une crise des dettes des banques centrales, les montres seraient une monnaie d’échange tout à fait acceptable.

Alors que les problématiques soulevées dans les parties 2-3-4 dépendaient d’erreur de gestion des maisons d’horlogerie, ici le risque est bien plus grand à terme, avec les montres anciennes qui pourraient totalement cannibaliser les montres récentes et dont les folles enchères sur le vintage ne sont que les prémices.

Pfffuit Pfuiiit.
Pifpaf.