Salut,
Voici les finitions de la Simplicity :
9) Plaque en acier du pont de la roue d’échappement : pas de préfabriqué.
L’axe de la roue d’échappement est soumis à des forces supérieures comparativement aux axes communs du mouvement. Il nécessite donc un contre-pivot (une pierre supplémentaire sur laquelle frotte le bout de l’axe, que l’on peut placer en-dessous ou au-dessus, comme c’est ici le cas). Ce dernier est maintenu par une plaque d’acier poli.
La difficulté consiste à avoir une plaque en acier qui soit exactement dans l’alignement du pont en maillechort. La plaque est assemblée et on en contrôle la hauteur : si elle est trop haute, elle est démontée puis légèrement polie afin d’enlever les millièmes en trop. Si elle est trop polie, le composant est perdu.
Philippe aurait pu se contenter d’un bloc contre pivot moderne pour sécuriser son axe de roue d’échappement. Mais il a fait un choix plus complexe, autant pour l’aspect bienfacture, qu’historique. Cette présentation constitue un hommage aux montres de poches : à l’époque les antichocs n’existaient pas et les pièces haut de gamme étaient souvent pourvues de ce type de dispositif.
10) La Signature Dufour : Les angles sortants dits « becs » ou « pointe ».
On retiendra néanmoins « angles sortants », par opposition à angles rentrants, ce qu’ils sont en fait dans la pensée de Philippe.
« Quand j’ai conçu la Grande Sonnerie, j’avais décidé de donner du relief au pont central en lui adjoignant deux becs. En développant la Duality, j’ai voulu y implanter une signature visuelle commune, qui est restée jusqu’à la Simplicity »,
Cette coquetterie, impressionnante visuellement, n’est pas ultra technique à produire, il faut simplement l’intégrer sans erreur dans le processus de réalisation.
Pour la façonner, Philippe utilise trois types de limes : carrée, barrette et feuille de sauge.
11) Le pont des secondes : débauche de style.
Ou comment transformer un bête pont des secondes en œuvre d’art. Il comporte trois angles rentrants ; ceux-ci sont positionnés à l’intersection des rayons des arrondis du pont. Pour réaliser un angle rentrant, voici comment Philippe procède : il donne un coup de lime fine pour le repérage du point de croisement. Puis avec une lime plus grosse, il va travailler alternativement à droite ou à gauche afin de sculpter le maillechort.
L’anglage bombé des productions Dufour est un régal visuel car la lumière y tombe progressivement.
Et si l’effet est superbe, il part en fait d’une contrainte : selon Philippe, il est impossible de réaliser à la main un anglage parfaitement plat à 45° ; seule une machine en est capable. De surcroît, les contrastes sur un angle à 45° sont particulièrement marqués. C’est dans ce contexte qu’on peut parler avec acuité du terme de « poli noir », tant l’anglage passe du noir au blanc, sans transition.
12) Les plaquettes gravées : novateur
Alors qu’à l’époque c’était une innovation, ce procédé est aujourd’hui largement répandu. Si ces plaquettes présentent un aspect esthétique évident, la préoccupation principale n’était pas là. L’objectif pour Philippe était d’éviter d’altérer les délicates vagues de Genève des ponts durant une galvano destinée à épargner à l’or d’éventuelles gravures (sachant de surcroît que la gravure elle-même peut déformer le pont).
13) L’angle sortant de trop : pas d’accord
car l’angle rentrant d’en face (du pont des secondes) ne reçoit pas de réponse : il trouve juste un angle arrondi classique. La volonté de Philippe était de conserver un arrondi classique, il est exact que c’est le seul de la Simplicity.
Inspiration topographique ? Volonté, à l’instar des calligraphes de mosquée, de conserver un défaut ?
14) Intersection de deux droites : bucolisme
Cet angle sortant se retrouve à l’intersection de deux droites.
On pourrait y voir, dans une métaphore poétique, une silhouette de montagne perçant la brume matinale sous l’effet des premiers rayons du soleil levant.
Dans un article a venir sur l’exode de l’horlogerie Parisienne vers la Suisse, j’émets l’hypothèse que l’horlogerie a été fortement influencée par son environnement en s’enracinant dans le Jura. Que les décorations superlatives, dont Philippe est le dernier (?) héraut, sont inspirées par la nature Jurassienne sauvage.
Après lui avoir exposé ma théorie, Philippe est assez d’accord, il ajoute même : « Si les Valaisans avaient produit le mouvement, les angles auraient encore plus prononcés » ; le canton du Valais est particulièrement escarpé…
15) Pierre demi chasse : aussi appelée mi-glace
Le rubis demi-glace diffère du rubis glace à cause de son profil supérieur. Disons qu’un rubis classique a un profil plat. Dans le cadre du mi glace, c’est un profil concave qui descend jusqu’à l’axe. Ce profil prend tout son sens si l’on retrouve des chatons ou des moulures autour du rubis. Ce qui crée un effet visuel de profondeur augmentant la taille apparente de la pierre (ce qui permettait de mieux faire passer la pilule du prix lorsque les rubis et autres diamants étaient naturels, au XIXème siècle).
16) Moulure ou découverte : anglage autour des pierres.
Autour des rubis et des vis, Philippe effectue un genre de chanfrein : Il travaille tout d’abord à la fraise, les bords celle-ci étant biseautés, ce qui détermine l’angle, puis il termine au bois de buis entrainé à l’archet.
17) Angle sortant sur le pont de balancier : effet visuel
Du fait des contraintes de réglage du balancier, le pont de ce dernier devrait être, sur la Simplicity, relativement petit. Pour redonner du volume au pont, Philippe l’a doté d’un petit anglage qui, une fois n’est pas coutume, ne se place pas à l’intersection de droites. Pour moi, Il évoque un escarpement rocheux.
18) Fente de tête de vis : anglée
Anglages polis bloqués, s’il vous plaît.
19) Les espaces entre les ponts : identiques
Que ce soit l’espace 11a ou 1b, mêmes dimensions. Qualité.
20) Polissage pignons : à la meule de bois
C’est le profil des dents qui est polis afin d’enlever toute trace de taillage, pour optimiser les frottements. Le temps de polissage est réduit au minimum afin de de ne pas déformer le profil des dents. Le terme lissage serait plus approprié que le polissage.
21) Anglage du rochet du barillet : à la meule de bois
Le rochet est la partie supérieure dentée du barillet. C’est le rochet encliqueté qui empêche le barillet de se dévider. Son polissage est réalisé en le pivotant autour de la meule de bois.
22) Vague de Genève : côtes de Genève pour les rustres
Les vagues de Genève du calibre 11 sont réalisées après les anglages. L’objectif est donc que celles-ci aient le meilleur ratio impact visuel/minimum de matière enlevée. Afin, bien entendu, de ne pas dénaturer les anglages. Philippe procède de manière classique avec une machine à côtes de Genève, mais il utilise une meule avec une infinie précaution…
Je suis devenu un fanatique du travail de Philippe Dufour. Durant les nombreuses visites que j’ai effectuées dans les maisons les plus prestigieuses, j’ai en général été déçu : travail à la chaine, salles blanches ultra aseptisées et climatisées, horlogers peu passionnés.
Mais dans l’atelier de Philippe (où j’ai passé beaucoup de temps dans le cadre du projet NM), j’ai enfin eu l’immense privilège d’être happé par une atmosphère digne du plus pur mythe de l’horlogerie Suisse.
et Philippe travaille avec une passion immarcescible, aussi inaltérable que la Simplicity.
Merci à Philippe pour sa générosité, et merci de votre patiente durant cette longue lecture.
A bientôt.
Malik.