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Patrimoine & Savoir-faire
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Dominique Renaud le retour : au fil de l’épée

Le 15 mars 2016
Malik
Malik "Pifpaf" Bahri
L'auteur.

Bonjour, bonsoir,

Le fil de l’épée, c’est un essai du jeune Colonel de Gaulle, paru en 1932. Il annonce dans cet ouvrage prophétique, l’importance des blindés et la future guerre éclair, il y fait même, avec huit ans d’avance, l’autopsie de la défaite française de 1940. Dominique Renaud revient avec un nouveau type de pivot d’axe de balancier, qui repose sur un système de lame, au fil de la lame en quelque sorte… Celui-ci annonce-t-il le futur de l’horlogerie ?

Quand j’ai commencé à beaucoup m’intéresser à l’horlogerie, tout le monde parlait de Renaud & Papi ; nous étions au début des années 2000, une de leur création, la AP Royal Oak Concept, faisait la une des gazettes horlogères (en couverture, Renaud et Papi au début des 90′).
Tout le monde parlait de Renaud et Papi, mais à chaque fois, c’était Papi qui était interviewé, ou était Renaud ?
On me disait un peu mystérieusement, comme un bon Scorsese : « il est parti », quoi parti ? Mais où ? En cavale ? En prison ? Enterré dans les bois ?

Joe Pesci par Scorcese – Steve Van Zandt dans l’hilarante série norvego-comico-mafieuse : Lylihammer

Les AffranchisLilyhammer Steve Van Zandt

Donc, quand je fus convié (par hasard) à visiter son atelier à côté de Lausanne, grande fut ma surprise, il était bien vivant, en forme, en chair et en os.

L’explication était beaucoup plus laconique : en fait, il était parti profiter d’une retraite anticipée bien mérité, ou il a construit sa maison dans le sud de la France. Quelque part, j’étais un peu déçu, mais bon, c’est juste de l’horlogerie, pas les affranchis…
Tout bien pensé, les coming back, sont assez fréquents dans l’horlogerie, cette drogue dure. Mais en général, c’est le même problème que les vieux rappeurs ou rockeurs qui ont survécu aux overdoses et aux fusillades : à bout de souffle, à côté de la plaque, avec des vieilles idées.

Mais ce n’est vraiment pas le cas ici. Mais genre pas du tout.

Tout commence il y a un mois :

Je devais voir Gregory Pons, qui me convie à l’accompagner à Lausanne, pas de bol la E500 est chez le carrossier et ce dernier m’a prêté un bolide : une Daewoo Kalos 1.4 de 93ch. Un concept : pas de freins, pas d’accélérations, pas de confort, pas de sécurité, pas d’amortisseurs ; à 110 sur l’autoroute par grand vent, on a l’impression de barrer une coquille de noix sur le channel un jour de tempête. Par je ne sais quel miracle, on arrive vivant chez Dominique Renaud. Et ça aurait été dommage d’y rester sur l’autoroute, voir Dominique Renaud et mourir.

Ça fait quelques années qu’il ne se passe plus grande chose dans l’horlogerie, après une période ultra créative sur la grosse décennie 1999-2012… Période notamment initiée par deux jeunes horlogers, Gulio Papi et Dominique Renaud.

Il faut comprendre que dans les 90’ la situation était assez simple. A la fin des 70’ il restait cinq élèves à l’école d’horlogerie : Robert Greubel, Gulio Papi, François Paul Journe, Christophe Claret et Dominique Renaud. Avoir cru à l’horlogerie au moment où les financiers, toujours visionnaires, voulaient fondre le reste de l’outillage, a été particulièrement payant pour ces cinq horlogers… Renaud & Papi furent les premiers à émerger grâce au soutien du visionnaire Gunther Blumlein.

Robert Greubel et Dominique Renaud, du temps de Renaud & Papi au début des 90′ :

Dominique Renaud et Robert Greubel à la tâche

Si Dominique Renaud a moins fait parler de lui dans les années 2000 que les quatre autres, ce n’est pas parce qu’il n’avait rien à dire. C’est plutôt parce qu’il a suivi le même processus intellectuel qu’une montre à longue réserve de marche. Le remontage est plus long, mais l’énergie restituée plus puissante.

Les concepts de la néo-horlogerie ludique des années 2000 étaient tournés autour de l’affichage, comment afficher une heure traditionnelle autrement ? On a vu des très belles choses, notamment chez Harry Winston dans la série Opus, chez Hautlence, Urwerk ou MB&F. Mais le cœur de la montre a été peu touché durant cette période, on peut penser à Greubel Forsey et De Bethune (ce qui explique notamment que ce soit des marques prépondérantes sur le plan créatif en 2016) qui ont essayé d’apporter des solutions novatrices à l’amélioration de la régulation, sans pour autant modifier l’essence de l’organe réglant : plat, rond et posé sur un pivot. Plus récemment encore, Parmigiani et Tag Heuer ont proposé des solutions hautes fréquences, qui s’éloignent un peu du paradigme horloger traditionnel. Les solutions de poutres vibrantes de Tag Heuer sont impressionnantes, mais manque d’une patte d’horlogerie traditionnelle.

Ça fait un moment qu’on tourne autour, sans réellement trouver une idée limpide, à la fois traditionnelle, et pourtant novatrice.

Dominique a décidé de travailler sur une idée directrice : « le facteur qualité ».

En français, c’est le coefficient de frottement de l’axe du balancier. Ce dernier est très petit, moins d’un millimètre de diamètre, donc environ trois-quatre millimètres carrés de surface frottantes, et pourtant, c’est une des causes principale de déperdition de l’énergie au niveau de l’organe réglant.

Pour arriver à ce résultat, Dominique a pensé « Out of the box ». Plutôt que d’optimiser un organe réglant classique, au travers de tourbillons ou de matériaux contemporains (céramique, silicone), il a opté pour des métaux historique, mais une architecture nouvelle avec un type d’organe réglant inédit.

Le traditionnel axe de balancier est remplacé par une triple « lame » environ 3 fois un millimètre de longueur et quasiment pas de largueur. Tout le système est construit autour de ces lames.

C’est un peu le principe des balances d’épiciers d’antan, les lames vont pencher d’un côté, puis de l’autre, remplaçant le va-et-vient du balancier actuel. Pour maintenir l’ensemble, un balancier cylindrique, qui remplace le balancier rond, relié en son centre, comme un balancier normal, aux lames. Pas de spiral en forme de spirale, mais un ressort lame sur le côté, qui assure la régularité des va-et-vient du balancier.

L’échappement est aussi spécial : l’ancre et la roue d’échappement sont remplacées par une roue d’échappement à 5 branches (chacune à double action), et un ensemble rotatif de distribution et bascule de détente. Ce système n’envoie qu’une impulsion sur dix, permettant encore une économie de frottements et de déperdition d’énergie. Ce système de « coups perdus », que l’on retrouve dans certaines pièces d’élite du XIXe siècle, conditionne ainsi une seconde morte naturelle. C’est comme si on adaptait un système de seconde morte habituellement en queue de la chaîne d’énergie du mouvement, en tête de cette chaîne d’énergie.

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À ce stade, Dominique Renaud pense que ce système de « coups perdus » permettra un meilleur rapport consommation/frottement/chronométrie, puisque son système devrait avoir une régularité supérieure à tout ce qui est connu, le rapprochant ainsi des chronomètres de marine.

DR à l’établi (en vrai il rigole tout le temps):

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J’avoue pour ma part être un peu dubitatif : pourquoi ne pas bénéficier au maximum de la fréquence relativement élevé du calibre DR01 pour ne pas obtenir la meilleure moyenne ? C’est le choix de l’horlogerie depuis des décennies avec le 28800 a/h puis le 36000 a/h. Sauf que dans le cas de la DR01, cette dernière fréquence sera couplée avec une réserve de marche de plusieurs semaines.

Tout ceci conditionne une forme de construction inédite, qui rappelle un peu par son gabarit le mouvement de la Parmigiani Bugatti Veyron première du nom, mais la ressemblance s’arrête là ! Si la DR01 reprend la forme rectangulaire et épaisse, l’agencement des roues et rubis est unique, construit autour de cet organe réglant si novateur.

Le futur de l’horlogerie mécanique ?

Dans des versions futures, il envisage de de se passer du « balancier cylindrique », pour proposer un mouvement extra-plat, encore plus novateur, reposant uniquement sur le couple lame/ressort-lame.

Ce premier développement de Dominique en appellera d’autres, par micro-séries successives de 12, afin de faire progresser la recherche de montre en montre, on retrouve ainsi l’idée de montre laboratoire.

  • Idée risquée pour un collectionneur, mais est que si vous pouviez prendre la De Lorean pour retourner en 1801, ne sauteriez-vous pas sur le premier tourbillon d’Abraham Louis Breguet ?

La DR01 First Twelve sera pourvu d’un boîtier qui tient plus de l’écrin pour mouvement : le boîtier est une arche au design anguleux qui contient un cylindre en saphir rotatif par cran de 60° protégeant le mouvement, cette configuration permet admirer le calibre sur tous les angles.

Pour avoir eu le prototype au poignet : c’est intéressant à porter, mais je ne peux pas dire, en toute subjectivité que ça fait sens. Peut-être que la volonté de casser les codes était trop grande, même si l’on retrouve dans ce cylindre en saphir l’idée du balancier cylindrique. De l’infiniment petit au moyennement petit en somme…

Ce boîtier me pose problème à deux niveaux, d’une part pour une raison triviale : l’inspiration chasseur F117 supposé furtif du design anguleux, dont personne n’a semblé noter dans l’horlogerie qu’il a été décommissionné suite à la guerre du Kosovo de 1998 ; plusieurs avions s’étant fait abattre, car les espions russes qui supportaient les soldats serbes avaient compris que les F117 occasionnaient des perturbations sur le réseau hertzien (de la télé à coins ronds).

Boitier Dominique Renaud 12 First - CopieBoitier Dominiqure Renaud 12 First - Copie

Mais surtout beaucoup plus important à mon sens : ce boîtier est une idée de motoriste qui sait qu’il vient d’écrire l’avenir de l’horlogerie. Ce n’est pas une idée de designer, mais d’horloger : le mouvement est tellement exceptionnel, que l’on doit le mettre en avant à tout prix, au détriment des règles du design les plus basiques. Alors qu’un boîtier de forme, plus sage, par exemple comme ceux de Parmigiani Bugatti (Veyron et Super Sport) ou des machines de MB&F, aurait mieux convenu comme support de cette formidable invention.

  • Il serait plus juste de parler d’écrin de mouvement de poignet, que boitier de montre.

Mais le boîtier n’est qu’un point mineur ici, surtout avec une série limitée de 12 montres (env. 1million pièce).

Dominique Renaud arrive avec un concept incroyable, un menhir dans le marigot des vallées, plus même qu’une révolution : il sort l’horlogerie de sa cécité technique collective en balançant un concept tellement dense, que sa masse change la course du paradigme technologique de l’horlogerie au point de la faire dévier de son cours.

Foudroiement votre.
Malik.

PS :

En écrivant ces mots, je suis en lévitation trois centimètres au-dessus du siège, mes mains courent à grande vitesse  sur le clavier en flamme, produisant un bourdonnement de munition hypersonique.
Nous avons, moi et mes collègues de la blogosphère la chance de vivre le commencement d’une nouvelle page de l’horlogerie. Si vous souhaitez des approfondissements techniques (je suis resté volontairement grand public dans cet article), vous pouvez lire ces excellents articles sur Business Montre  et Watchonista.

 

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